Une investigation de Riana Raymond et Yves Samoelijaona. 21 ans après la signature de convention entre Qit Madagascar Minerals-Rio Tinto (QMM-Rio Tinto) et l’Etat malgache, la population de Taolagnaro est loin de bénéficier des avantages liés à ce partenariat. Pire encore : les problèmes sociaux et écologiques et la gestion des fonds destinés aux caisses de l’Etat font des mécontents, du côté de la population et des élus locaux. L’Etat central, partenaire de la société ferme ses portes aux demandes d’information à ce sujet. La transparence n’est guère de mise entre les dirigeants et la société.
L’Etat est surendetté, pieds et poings liés
La population malgache a le droit d’être informé sur la situation de ces sociétés importantes, en particulier celles qui s’investissent dans l’extraction minière. Cependant, d’un côté, l’on ne dispose guère d’informations claires sur le contenu des accords et de l’autre côté, la communication elle-même manque. Cette insuffisance de communication entre les responsables gouvernementaux et le gouvernement lui-même est d’ailleurs l’une des raisons qui ont amené l’Etat a demandé une enquête sur la finance et les gestions, explique un responsable au niveau de QMM-Rio Tinto.
« La situation nous surprend, car l’Etat malgache, en temps que partenaire de notre société est représenté dans le conseil d’administration. Le ministre des Mines nomme d’ailleurs ce membre chargé de représenter l’Etat. De ce fait, ils sont sensés connaitre les problèmes et tout ce qu’il se passe au sein de l’entreprise », explique ce responsable au sein de la société QMM-Rio Tinto.
L’accord entre Rio Tinto et l’Etat Malagasy a été signé en 1998. 80% du capital sont détenus par les étrangers et Madagascar peut mettre fin à cet accord et ne pas le renouveler. Cependant, l’Etat est pieds et poings liés car il doit encore s’acquitter d’une dette s’élevant à 93 millions de dollars auprès de Rio Tinto, dont 77 millions de dollars pour la recapitalisation de 2012 et 2015 et 16 millions de dollars qui devaient être payés en 2019.
C’est une recapitalisation nécessaire après le constat que la société enregistre des pertes et ne dispose plus que de la moitié de son capital, d’après la loi 2003-036 sur les sociétés commerciales. Cette contribution est sensé être déduit au fur et à mesure de la répartition des avantages, proportionnellement au capital introduit. A ce jour, les avantages ne sont pas perçus, les partenaires doivent participer à une recapitalisation, et QMM-Rio Tinto ne compte pas lâcher Madagascar. « Nous sommes prêts à renouveler l’accord et ouverts aux discussions », nous dit le QMM. L’Etat quant à lui n’a pas émis l’intention de se défaire de ce partenariat.
Pas d’avantage du point de vue économique
La société QMM-Rio Tinto a commencé à extraire le cobalt de Taolagnaro depuis plus de dix ans. Les habitants que nous avons interrogés sur les lieux disent ne pas tirer de bénéfice de la présence de cette entreprise. Villageois, commerçants, fonctionnaires, associations et gouvernants locaux partagent le même avis. Tout d’abord, l’impact social de l’entreprise et son influence sur le développement local ne sont pas tangibles.
« De ce que sais, le QMM a exporté plus de 2 500.000 tonnes de cobalt. Depuis 2018, il a aussi exporté de la monazite, à hauteur de 500 000 tonnes environ. Ce n’est pas évident d’accepter que l’entreprise enregistre des pertes. Ce qui est triste, c’est de constater que les initiatives sociales ne sont guère concrètes. En comparaison avec son capital et les bénéfices engrangés, les Malgaches ne profitent que de 13 millions de dollars de ristournes depuis dix ans. Ce sont les fameux 2% mentionnés par le code des ressources minières. Une somme qui est encore répartie au niveau de la région, des communes, de l’ancienne province, comme l’exige la loi », explique le gouverneur de l’Anosy, Hatrefindrazana Jerry, durant notre entrevue le 24 février 2020.
L’association qui fédère les paysans agriculteurs « Mpamboly Mitambatra » partage ce point de vue, comme le souligne son président Milsen Jasmin, que tous connaissent sous le nom de Guy.
” Si on se base sur ce que nous vivons aujourd’hui, nous ne tirons pas d’avantage de la présence de cette entreprise à Taolagnaro. Seules en profitent les entreprises qui travaillent déjà avec QMM-Rio Tinto. L’argent ne circule pas vers d’autres secteurs mais reste confiné à l’intérieur. Une des situations les plus accablantes, par exemple, c’est la construction du port d’Ehoala. L’entreprise qui gère ce port appartient à QMM. Y amarrer revient cher et cette situation amplifie le coût de la vie », explique-t-il.
D’autre part, des entrepreneurs membres de la chambre de commerce et de l’industrie qui requierent l’anonymat, soutient ce constat selon lequel la société QMM entretient une emprise sur l’économie de Taolagnaro. « Il revient doublement plus cher d’utiliser le port d’Ehoala que tout autre port de Madagascar. Il n’est pas étonnant que les prix doublent à Taolagnaro », disent-ils.
Une flambée des prix que nous pouvons vérifier localement. Un sac de ciment à 22 000 Ar coûte 37000 ariary à Taolagnaro. L’eau embouteillée à 2000 Ar est à 4000 voire 5000 Ar dans les épiceries.
En 2019, l’Etat malgache a demandé à mener une investigation dans la gestion de l’entreprise QMM – Rio Tinto, d’après le conseil des ministres du 20 novembre 2019. En mars 2020, cette investigation n’est pas encore entamée.
“Toutes les démarches doivent être claires. L’Etat doit nous donner les détails de ces démarches et les étapes de l’investigation, ainsi que les termes de références relatifs. C’est la raison qui a retardé cette investigation à laquelle le QMM-Rio Tinto ne s’oppose pas”, comme le confie, de manière anonyme et officieuse, un responsable de QMM-Rio Tinto.
« C’est l’identification de l’entreprise chargée de l’audit et les détails de la réalisation de cet audit qui ralentissent la démarche », selon le gouverneur de la région Anosy, Hatrefindrazana Jerry. Des détails que l’Etat n’a pas encore éclairés, outre les explications du ministre des mines le 21 novembre 2020 durant sa conférence de presse tenue dans son lieu de travail.
Cet audit est d’ailleurs en sursis aujourd’hui, dans la mesure où les responsables à divers niveaux ne sont pas transparents dans leur communication. L’Office des Mines Nationales et des Industries Stratégiques (OMNIS), le ministère des Mines qui est également le premier responsable et le requérant de l’audit, gardent le silence. Silencieux, malgré nos demandes d’entrevue et les e-mails envoyés auprès du département de la communication en février 2020. Le président Andry Rajoelina a accepté de donner une interview, une acceptation à ce jour restée lettre morte. La direction de la communication de la présidence a refusé toute entrevue particulière à ce sujet avec la presse. C’est le secrétaire générale de la présidence de la République, Valery Ramonjavelo, qui, pendant une discussion officieuse le 21 février 2020 qui a souligné que cet audit financier et de gestion de QMM-Rio Tinto doit être mené, y compris le fait que la population malgache ne récolte pas d’avantage de la présence de cette entreprise à Madagascar. En résumé, la communication du gouvernement est insuffisante.
Affirmations infondées
Devant ces différents points de vue, QMM-Rio Tinto fait entendre le sien. L’entreprise refuse l’affirmation selon laquelle elle ne contribue pas au développement local ou à l’amélioration des conditions de vie de la population. Pour l’entreprise, elle reste un levier de développement pour la Région, en particulier pour la ville de Taolagnaro.
« Nous avons injecté plus d’un milliard de dollars à l’économie malgache. Nous avons créé 2 000 emplois, dont 97% des employés sont Malgaches et 80% d’entre eux sont recrutés au niveau de Taolagnaro. 150 entreprises bénéficient d’appuis de notre société. 350 millions de dollars sont dédiés aux infrastructures communes auxquelles la population a directement accès : cela concerne les routes, l’électricité, l’adduction d’eau, la santé publique. 2,5 millions de dollars sont annuellement alloués à la protection de l’environnement et au bien-être de la population locale. Peut-on encore affirmer que nous ne participons pas au développement local ? Le problème avec les responsables étatiques et les associations locales, c’est qu’ils veulent uniquement soutirer de l’argent de notre société », d’après la communication de QMM-Rio Tinto.
Ils soulignent aussi le fait qu’ils n’ont pas interrompu le paiement des ristournes liées à leurs exportations.
« Nous payons entre 800 millions et 1 milliard d’Ariary par an et cela n’a jamais été interrompu. Nous avons réalisé plusieurs activités sociales et Taolagnaro n’aurait pas atteint ce niveau (de développement) sans la société QMM », selon toujours les explications.
Ary araho ny vaovao momba ny ady amin’ny kolikoky !