Les travaux de restauration du Rovan’Antananarivo continuent d’alimenter la polémique, par manque de transparence dans la gestion des fonds et dans les appels d’offres. Les explications émanant du gouvernement ne viennent d’ailleurs qu’après que les questions ont fusé sur les réseaux sociaux. A cela s’ajoutent les questions sur la situation de l’amphithéâtre Masoandro.
Parmi ces questions à éclairer, on cite la situation de cette somme de 8 378 140 000 ariary, soit un peu plus de 2 millions d’euros, destinée à la réalisation de la muséographie du Rova. La mission est confiée à l’entreprise Présence France, basée à La Madeleine, France. La facture de cette prestation a été établie en novembre 2019, alors que le grand public n’a eu connaissance du projet qu’en juin 2020, lorsque le document a fuité sur les réseaux sociaux. La mission est censée durer 180 jours selon ce document, à compter du mois de novembre 2019. L’appel d’offres lié à cette mission n’est pas clairement retracé, ni rendu disponible aux citoyens selon le principe de la bonne gouvernance pourtant réitéré par le président Rajoelina, qui a d’ailleurs déclaré que le financement de ces travaux de restauration du Rovan’Antananarivo provient de fonds malgaches. Les éclaircissements du ministère de la Culture et de la Communication (MCC) ne sont venus qu’après que ladite facture a circulé sur les réseaux sociaux et dans les colonnes du journal La Gazette de la Grande île. Des explications tardives qui n’éclairaient pas les zones d’ombre.
Une gestion opaque des fonds et du bois dédié au Palais
Autre affaire aussi opaque que le premier cas évoqué ci-dessus : la gestion du bois destiné au chantier de reconstruction du palais. Tout d’abord, on sait que 360m3 de bois de palissandre ont été destinés à recouvrir l’extérieur de Manjakamiadana. Cette cargaison a été sortie du port de Mahajanga en 2019, puis acheminée vers le Commandement des Forces de Développement (COFOD) sur la route Digue, à Antananarivo. De là, le bois a été déplacé et déposé dans les locaux de l’entreprise Tropical Woods. Cette entreprise aurait gagné l’appel d’offres émanant du MCC pour la fourniture du bois. Un appel d’offres qui n’est pas transparent dans la mesure où les conditions de sa diffusion et la démarche de sélection du prestataire sont inconnus du public.
Pour rappel, le président de la République s’est donné pour défi de restaurer Anatirova avant la célébration de la fête de l’Indépendance. Il a donné les pleins pouvoirs au MCC afin de réaliser ces travaux. En 2019, le MCC a demandé l’autorisation de prélever du bois qui serait utilisé à Manjakamiadana. Une source qui a souhaité rester anonyme explique : « A ce moment, le ministre de l’Environnement a refusé la coupe des bois car cela allait à l’encontre de ses déclarations lors de sa prise de fonction. A ma connaissance, des conseillers l’ont convaincu d’utiliser le bois saisi.» Notre source continue:
“Si je ne me trompe pas, le conseil des ministres a validé la décision selon laquelle le ministère de l’Environnement doit autoriser la sortie de ces bois. L’affaire a été portée auprès du tribunal de Mahajanga, afin d’avoir une autorisation pour sortir le bois saisi au port. Le ministère de l’Environnement a respecté cette organisation. On est allé jusqu’à faire respecter les moindres détails jusqu’au transport des bois vers la capitale car toute erreur impliquait la responsabilité des agents (du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable, MEDD, ndlr)”.
Cette même source assure que les 350m3 de bois demandés ont été obtenus, et déplacés au siège de Tropical Woods, à Mamory, Antananarivo. “Ce bois n’a pas été transporté, même partiellement, au Rova et nous nous posons des questions”, dit-il.
Après vérification sur les lieux, ces bois de palissandre n’ont en effet jamais atteint leur supposée destination finale. Au sein du MEDD, aucune réponse ne nous a été donnée quant aux demandes d’entretien sur cette affaire de bois précieux.
Non respect de la loi
Toujours dans le cadre des travaux de restauration d’Anatirova, on constate que le MCC empiète sur les platebandes d’autres ministères. Le 30 mars 2020, une lettre référencée N°095-2020/MCC/Min, signée par la ministre Rakotondrazafy Lalatiana, donne l’autorisation à une personne civile, Randrianarison Rondro Harimalala, de transporter 265 m3 de bois d’Anakaraka. Du bois également destiné à la reconstruction du Rova.
Selon la loi, la prérogative de délivrer une telle autorisation de transport de bois appartient au MEDD. Le MEDD n’aurait pas été notifié, ni reçu une copie de cette autorisation, même pour information. Le MCC a envoyé directement la lettre auprès des directions régionales de l’environnement de l’Atsimo Andrefana et du Melaky. Pour diverses raisons et sans doute par solidarité interministérielle, une autre lettre émanant du MEDD vient renforcer cette autorisation du MCC, pour la circulation de la cargaison.
“Rien de surprenant. On n’a pas idée des négociations entre membres du gouvernement, mais une nouvelle lettre en date du 8 avril 2020 vient soutenir celle du MCC, et signée par la ministre de l’environnement, Raharinirina Vahinala Baomiavotse. Cette lettre ne concerne d’ailleurs pas vraiment l’autorisation de circulation mais plutôt la surveillance et la protection de ces bois au départ de l’Atsimo Andrefana et du Melaky”, selon toujours cette source.
Favoritisme
Un autre point à éclaircir : la sélection du prestataire, en particulier dans la gestion du bois. Premièrement, aucun appel d’offres ouvert ne vient précéder le fait que l’entreprise Tropical Woods ait été choisie comme Maitre d’œuvre. Aucune trace de ce document dans le système informatisé de gestion des marchés publics (SIGMP), où l’on peut faire le suivi des appels d’offres et des soumissionnaires, comme l’indique le Code des marchés publics.
Deuxièmement, la situation de Randrianarison Rondro Harimalala, qualifiée de fournisseur de bois, est tout aussi sujette à questionnement. Aucune trace de l’appel d’offres sur son mandat, après avoir vérifié les sites web de la Présidence de la République, du ministère des Finances, du MCC, ainsi que les journaux quotidiens. On ne peut pas non plus affirmer clairement si le prestataire a été directement sélectionné par le MCC ou bien si Tropical Woods lui a accordé l’autorisation d’acheter et de rassembler le bois en son nom. D’après les documents à notre disposition, l’entreprise n’a donné une procuration officielle pour la représenter que le 9 avril 2020. Le MCC de son côté, comme expliqué plus haut, a donné l’autorisation de transport à Randrianarison Rondro le 30 mars 2020, et a souligné à cette date que cette personne était bien chargée de la fourniture de bois. Cependant, il est à noter qu’après vérification de ses dossiers auprès du service fiscal en se basant sur le numéro d’identification fiscale (NIF) et celui de la carte statistique (STAT) utilisés par Randrianarison Rondro Harimalala, celle-ci a effectivement comme fonction la fourniture de bois: aucun soupçon de faux ici.
Troisièmement, notons le rôle de Jean Bardeau, cité comme propriétaire du bois acheté par Randrianarison Rondro Harimalala à Sakaraha. 13.036 m3 de bois ont été transportés à ce jour. Pourtant, l’autorisation d’exploitation forestière de Jean Bardeau a expiré le 12 octobre 2019, selon les derniers documents. Les raisons de sa sélection demeurent inconnues : situation qui conduit certains responsables au niveau de l’Administration tout comme les entrepreneurs dans ce domaine, à se poser des questions légitimes.
Des réponses!
Au regard de ces situations qui exigent des réponses du MCC, on se rend compte que la restauration de l’Anatirova demande une volonté de transparence de la part de l’Etat, ne serait-ce que cette affaire de bois qui nécessite des explications. Que sont devenus les 350m3 de palissandre disponibles depuis 2019 ? Sur sa page Facebook en date du 18 mars 2019, le MCC a fait savoir que de l’ébène et du vandrika (et non du palissandre) seront utilisés pour confectionner le plancher à l’intérieur de Manjakamiadana.
Qu’en est-il également du fonds alloué aux travaux, dont l’origine demeure inconnue? Le MCC affirme que ces fonds proviennent des caisses de l’Etat mais sans qu’ils ne soient visibles dans la loi de finances 2020. Puisque le patrimoine peut se prévaloir d’un statut international, est-il possible que des fonds étrangers aient été utilisés ?
Concernant les fonds nationaux, le sénateur de Madagascar élu à Fianarantsoa, Auguste Phillipe, a apporté quelques explications dans les colonnes de l’Express de Madagascar, le 22 juin 2020. Ce sénateur a déclaré que 22 milliards Ar disponibles pour le programme d’investissement public sont directement alloués au MCC pour assurer les projets de restauration du patrimoine, dont 9 milliards Ar affectés à la réhabilitation et à l’aménagement du musée. Le sénateur explique que ce fonds destiné au Rovan’Antananarivo a reçu l’aval du Parlement et que les détails ne seront connus qu’après la finalisation du budget. Chose qui n’est pas encore faite plus de deux mois plus tard. Or, on constate que des dépenses sont déjà engagées, des travaux sont déjà sur les rails.
Même si l’état d’urgence sanitaire a détourné les regards de ce chantier sensible, l’opinion publique continue de suivre cette affaire de près, et espère des explications plausibles et pertinentes de la part des responsables.
Ary araho ny vaovao momba ny ady amin’ny kolikoky !